Tuesday, July 22, 2008

Shakespeare's As You Like It

I went to see a play by Shakespeare the other day, entitled As You Like It. 'twas in the beautiful garden of Trinity College! Taking into account that Shakespeare's language could be quite awkward, especially for a non-native speaker, and that I was sitting completely on the side behind a big guy with a broken neck that was hiding most of the scenes to me (I ended up quite liking him nevertheless, as he and his wife were among the most strongly laughing people in the audience), it isn't hard to imagine that some small subtleties (say 60 per cent of the play) escaped my understanding.

From what I gathered, the play is about the son of a banished duke, Orlando, who gains the love of her cousin (?) Rosalind by beating up in a formal fight the wrestler hired by his brother to kill him. He falls in love too, but unfortunately is forced to flee. Her love is also banished, and decides to take the disguise of a man (for some reason, which the guy in front of me must have understood thoroughly). They meet again in the forest, but she stays under cover (did he break his neck in a car accident?). So naturally the rest of the play for Rosalind consists of testing the loyalty of his love to her and finding the way to reveal her true identity to him---and to the foolish girl who fell in love with her. The play ends in a happy quadruple wedding, celebrated in an uninhibited orgiastic dance. Not the deepest of Shakespeare's plays, nor the most brilliant actors either, but rather fun in any case.

What really interested me was the short epilogue written for the actor playing Rosalind (I emphasize):

It is not the fashion to see the lady the epilogue;
but it is no more unhandsome than to see the lord
the prologue. If it be true that good wine needs
no bush, 'tis true that a good play needs no
epilogue; yet to good wine they do use good bushes,
and good plays prove the better by the help of good
epilogues. What a case am I in then, that am
neither a good epilogue nor cannot insinuate with
you in the behalf of a good play! I am not
furnished like a beggar, therefore to beg will not
become me: my way is to conjure you; and I'll begin
with the women. I charge you, O women, for the love
you bear to men, to like as much of this play as
please you: and I charge you, O men, for the love
you bear to women--as I perceive by your simpering,
none of you hates them--that between you and the
women the play may please. If I were a woman I
would kiss as many of you as had beards that pleased
me, complexions that liked me and breaths that I
defied not: and, I am sure, as many as have good
beards or good faces or sweet breaths will, for my
kind offer, when I make curtsy, bid me farewell.

Exeunt



So we have sweet Rosalind, who spent more than half of the play pretending to be a man which we spectators knew was really a woman, speaking to us not as a character, but as the comedian playing her---a man in Shakespeare's time! (although it was a proper girl that day in the gardens.) Funny Will is just messing up with our gender preconceptions here:

During the play did you, if you're a man, fall in love with the beautiful Rosalind, or did you, if you're a woman, fall in love with the spiritual man she's been faking?

In either case what do you say now that Rosalind shows you what's really under her dress?

This kind of Brechtian distanciation effect was quite visionary.
(The last I saw was in Cassavetes' Opening Night (1977), specially at the moment where the perturbed actress asks for a light from the stage to the backstage to light her cigarette.)

Sunday, May 11, 2008

A. Diverses manières d'interroger en direction de la chose

J'ai commencé l'étude du texte Qu'est-ce qu'une chose ? de Heidegger (Die Frage nach dem Ding). C'est un texte basé sur un cours donné à l'Université de Fribourg-en-Brisgau en 1935-36. Si j'ai bien compris la biographie d'Heidegger par la BBC, à cette période il avait été placé à la direction de l'Université par le régime nazi et en avait profité, non pas à faciliter les recherches de son ancien mentor Edmund Husserl, mais à interdire l'accès à "ce juif" - donc pas forcément la période où il a brillé par son humanité. {Je note en passant qu'on pourrait légitimement douter de la santé profonde de la doctrine d'un homme qui a cru avec une ferveur intense au renouveau hitlérien. Mais pour l'instant, à l'instar de Hanna Arendt, je prends le parti de lui pardonner, quitte à réexaminer ma position au terme de mon étude. [J'ai souvent soutenu l'opinion, d'ailleurs, qu'un artiste ne doit pas être jugé pour sa position (ou absence de position) politique, par exemple Leni Riefenstahl.]}. Gageons (sans grand risque) que ce cours est basé sur son chef-d'oeuvre antérieur Sein und Zeit, écrit en 1926, à une époque où ses propres amis ne le considéraient pas encore comme verrückt.

J'attaque donc aujourd'hui par l'étude de l'introduction de Qu'est-ce qu'une chose ?, intitulée "A. Diverses manières d'interroger en direction de la chose" (je lis la traduction française de la jolie collection Tel Gallimard, 1971).


I. INTERROGATION PHILOSOPHIQUE ET INTERROGATION SCIENTIFIQUE

Heidegger commence la partie introductrice A. Diverses manières d'interroger en direction de la chose par une comparaison entre l'interrogation scientifique et l'interrogation philosophique. Selon lui, "en philosphie, à la différence des sciences, un accès immédiat aux questions n'est jamais possible. En philosophie, il est toujours et nécessairement besoin d'une introduction". J'annonce dès ici qu'en tant que (méta-) théoricien des cordes du XXIème siècle, mon acceptation des termes "science" et "philosophie" diffère passablement de celle de Heidegger, qui devait sans doute tendre à considérer comme sciences avant tout les sciences disons classiques (en opposition à la relativité générale, la mécanique quantique, etc). En particulier, je classe les théories scientifiques de gravité quantique parmi la "philosophie", tant à cause de l'inaccessibilité expérimentale de leurs observables qu'à cause des difficultés inhérentes d'identification de ces mêmes observables --- que décrire une fois que les concepts d'espace et de temps ont perdu leur pertinence?

Heidegger donne une définition de la philosophie amusante (le texte contient de nombreuses plaisanteries, qui rappellent son origine orale):

"La philosophie est cette pensée avec laquelle on ne peut essentiellement rien entreprendre et à propos de laquelle les servantes ne peuvent s'empêcher de rire."

(De nouveau, c'est dur de ne pas penser "String Theory!")
Il fait même mine qu'on y perdrait rien à négliger complètement la métaphysique:

"Lorsqu'on fait la sourde oreille à la question de la chose, lorsqu'on interprète un poème de manière insatisfaisante, tout se passe comme s'il ne se produisait rien."

(J'aime beaucoup cette comparaison entre la philosophie et la poésie; pour moi la vraie philosophie (et la vraie science) est poétique...)
Mais il enchaîne par une petite menace, d'autant plus inquiétante que furtive (et que, si Heidegger n'était pas Heidegger, on pourrait interpréter comme une mise en garde contre la montée du fascisme, du nationalisme, de l'extrémisme):

"Un beau jour toutefois [beau?], après cinquante ou cent ans peut-être [moins que ça!], il arrive quelque chose."

"Quelque chose": ça me glace la sang! Ce quelque chose si désinvolte c'est l'obscurité, c'est le néant, le retour de la bête, le règne de l'horreur.
"Quelque chose": voilà à quoi ça mène de mal lire un poème. Prenez garde, malheureux écoliers, le sort du monde dépend de votre inspiration poétique!

J'éprouve une grande sympathie pour cette idée qu'un défaut de poésie puisse ruiner la réalité.

Heidegger, Qu'est-ce qu'une chose ?

Il y a quelques temps, un article est paru sur arXiv dont l'abstract contenait quelque chose que je n'aurais jamais imaginé possible dans ce contexte : une citation d'un philosophe, et qui plus est, de Martin Heidegger! Il s'agit de l'article d'Andreas Döring et Chris Isham `What is a Thing?': Topos Theory in the Foundations of Physics, dont le but avoué n'est rien de moins que de mettre sur pied "a fundamentally new way of constructing theories of physics." Comme j'ai pris au premier trimestre un cours sur Heidegger par Stephen Mulhall, et que la théorie des catégories fait partie des matières que je convoite (qu'elle transforme la façon de concevoir la physique théorique, ou qu'elle serve d'autres fonctions, peut-être plus modestes, comme la description des D-branes...), j'ai décidé de me lancer dans l'étude attentive premièrement de Heidegger, et en particulier du livre Qu'est-ce qu'une chose ? recommandé par ces gentlemen pour sa compréhensibilité, deuxièmement des catégories, et finalement de leur article même.

C'est plutôt optimiste: ma recherche pourrait me contraindre à revoir mes ambitions à la baisse...
Pour l'instant, je trouve facilement le temps de lire quelques sections de Heidegger en fin de soirée.