Tuesday, February 7, 2012

Derborence

J'ai remarqué en regardant le film Derborence de Francis Reusser (1984) que Charles-Ferdinand Ramuz a utilisé dans son roman éponyme publié en 1934 une complainte du XVème siècle, celle du Roi Renaud. (Apparemment, Gérard de Nerval aurait publié en 1854 des Chansons et Légendes du Valois [sic], et le Roi Renaud était de la partie...) Il existe de multiples versions de cette chanson, mais voici celle que je connais:


Quand Jean Renaud de guerre revint
Tenant ses tripes dans ses mains,
Sa mère à la fenêtre en haut
Dit voici v'nir mon preux Renaud.

Renaud, Renaud, réjouis-toi!
Ta femme est accouchée d'un roi.
Ni de ma femme, ni de mon fils,
mon coeur ne peut se réjouir.

Je sens la mort qui me transit,
Mère faites-moi dresser un lit.
Mais faites-le dresser si bas
Que l'accouchée n'entende pas.

Et quand ce fut vers la minuit
Jean Renaud a rendu l'esprit.

Mais dites-moi mère ma mie
Ce que j'entends clouer ainsi?
Ma fille c'est le charpentier
Qui raccommode l'escalier.

Mais dites-moi mère ma mie
Ce que j'entends pleurer ainsi?
C'est la voisine d'à côté
Qui a perdu son nouveau-né.

Mais dites-moi mère ma mie
Ce que j'entends chanter ainsi?
Ma fille c'est la procession 
Qui fait le tour de nos maisons.


L'enregistrement "anthropologique" (une compilation de folklore français) que j'en avais devenait ensuite inaudible, donc j'ai terminé l'histoire par moi-même (un peu à l'arrache...):


Mais dites-moi mère ma mie
Qui donc ils s'en vont enterrer?
C'est Jean Renaud ton épousé
Qui a péri vers la minuit.


Ces paroles étaient chantées par un vieux villageois sur un ton monotone et régulier, mais on en percevait d'autant plus intensément, par contraste, la variété des divers personnages et la complexité de leurs émotions. Comme ils sont explicitement nommés, la confusion est évitée.

La version la plus proche que j'ai pu trouver, la moins édulcorée est dûe à Cora Vaucaire.

Il y a un jeu d'écho à l'oeuvre dans ce texte. D'abord, j'ai toujours pensé que les bruits de charpenterie qu'entend la femme proviennent des clous du cercueil de son mari, mais plus haut c'est son lit qu'il recommande de construire en silence. Il se peut que ce soit en fait la même chose, le "lit" étant un euphémisme pour "lit mortuaire". Un autre dédoublement qui m'avait frappé est celle des nouveaux-nés: à la fois la femme de Renaud et la voisine viennent d'accoucher. Ca me paraissait indélicat de la part de la belle-mère d'inventer une histoire à laquelle la femme peut si bien s'identifier. Peut-être est-ce déjà une façon de lui faire sentir qu'elle est en vérité personnellement concernée par le drame qu'elle soupçonne... Une troisième résonance peut-être (en tirant un peu par les cheveux) pourrait mettre en relation l'étripage de Renaud et l'accouchement de sa femme.

Dans Derborence, Ramuz mélange un peu les cartes: après l'effondrement de falaise ("C'est les Diablerets qui sont venus en bas!") ce n'est pas la mort du mari que la mère tente de cacher, mais celle d'un voisin, et ce n'est pas des bruits de charpenterie qui inquiètent d'abord la femme, mais la cloche du village. Aussi, la femme est enceinte au lieu d'avoir accouché récemment. Les mensonges de la mère sur le petit de la voisine sont néanmoins bien identiques, tout comme l'incrédulité de la fille.

1 comment:

Anonymous said...

là je suis complètement dépassée. Est-ce que je pourrais avoir quelques éclaircissements pour le 22 février?